[2003] R75 ... R79, R81 ... R123
L'année 2003 fut très dynamique dans la section “Rétro” de Problemesis. Quarante-huit problèmes y furent publiés, la plupart étant des parties justificatives. Ce genre bénéficie d'une grande popularité depuis quelques années, peut-être parce qu'il est encore jeune et qu'il est toujours possible d'explorer facilement de nouvelles idées. Avant de partager avec vous mon jugement, laissez-moi vous partager sa genèse. J'ai d'abord résolu tous les problèmes (Tous ? Non, j'ai donné ma langue au chat pour R75...) avant de m'attaquer au jugement proprement dit. Cette étape est nécessaire pour apprécier toutes les subtilités d'une partie justificative. Ce qui surprend le plus le badaud lorsqu'on lui présente le concept d'une partie justificative, c'est le fait que la solution puisse être unique. Or ce n'est qu'en résolvant et en essayant diverses pistes que la justification de l'ordre des coups apparaît dans toute sa splendeur. La deuxième étape, plus intuitive, plus personnelle, consiste en le classement des oeuvres. Ce processus, itératif, s'est poursuivi jusqu'à ce le résultat me satisfasse. J'ai alors rédigé une première version de ce rapport, avant d'associer, pour la première fois, les auteurs à chacun des problèmes et de lire les éventuels commentaires des solutionnistes. Finalement, je passerai encore de nombreuses heures à relire mes commentaires, à modifier un bout de phrase par ci par là, avant de finalement me résoudre à envoyer le tout à Christian Poisson pour publication. Car au fait, qu'est-ce qui est jugé, et par qui ? À première vue, ce sont les problèmes publiés en 2003 et le juge, c'est moi (pour un maximum d'effet, il faut prononcer ce dernier bout de phrase comme on prononcerait la parole apocryphe du Roi Soleil, “l'État, c'est moi !”). En fait, les juges, ce sont les lecteurs, les auteurs qui disséqueront la pertinence de mes commentaires ainsi que mon classement, surtout que c'est ma première expérience et que je ne peux prétendre être un expert dans le domaine. Et puis non, un jugement est en fait un partage, entre les compositeurs d'une part, qui redécouvrent les temps forts de l'année, et le juge d'autre part, qui peut transmettre une partie de son expérience et de ses préférences artistiques. Car bien que les premiers prix sont des problèmes qui feront vraisemblement l'unanimité parmi la communauté des amateurs de problèmes d'échecs, il en va tout autrement des recommandés, où le classement différerait substantiellement d'une personne à l'autre. Voici donc les principaux critères qui ont guidé mes choix :
Et maintenant place aux artistes : |
La première chose qui frappe le solutionniste s'attaquant à ce problème est la présence de deux pièces de promotion. Leur raison d'être n'étant pas évidente à première vue, ce dernier se demande alors quel thème peut justifier ces pièces souvent considérées comme un léger défaut. Finalement, l'émerveillement sera complet lorsque le solutionniste découvrira que la promotion d'un cavalier blanc nécessite une extraordinaire coopération des noirs, qui, par trois fois, devront remplacer leur fou noir. Le contenu thématique est donc défini par Fc8→d3, pxd3, Pg7→f1=F→c8→b7, pxb7, Pa7→b1=F→c8,pxc8 puis finalement Pf7→f1=F→c8. La triple illustration de ce thème est un exploit qui mérite à son auteur le premier prix. On remarquera également que les noirs, à l'exception de deux pions, ne déplacent que les pièces thématiques.
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Le thème Cériani-Frolkin est l'un des thèmes les plus prisé des compositeurs de parties justificatives. Le thème a de nombreuses fois été triplé, quadruplé et même quintuplé par Unto Heinonen, PJ en 39,5 coups, Probleemblad 1996/1997, 1° prix (tc4cT/ppp1D3/PPtF3f/P5Fr/P6d/5CF1/4C1T1/R4f1F). Cependant, la réalisation du thème avec une dame est la plus complexe; la dame doit jouer au moins deux coups, l'un diagonalement, l'autre pas, afin d'éviter les duals avec une promotion en tour ou en fou. Le thème est ici réalisé avec brio avec trois dames blanches. Le problème est parfait, seules les pièces thématiques blanches participent et l'ordre des coups est subtilement justifié. Un classique rondement mené, à comparer avec un prédécesseur en 33,0 coups de Michel Caillaud, Rex Multiplex 1983 (!), 2° prix (8/3pp3/1t1ptp1c/p2pPd2/D1P5/1PcPrC1R/PF2Fc2/TC1f1T2).
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On a déjà vu des problèmes où l'un des cavalier visite la case de son accolyte avant de revenir sur sa case de départ. On a également vu des problèmes où un cavalier de promotion remplace un soldat mort au combat. Dans ce problème, le cavalier de promotion visitera g8 puis b8 avant d'atteindre sa position finale, a6. Ce trajet serait presque banal, si ce n'est que le cavalier en question n'effectue aucune capture ! Sa présence en g8 sera nécessaire pour protéger son monarque d'un échec de la tour blanche (de promotion) en h8. Le passage par b8 est le seul qui mène à la case a6. Un problème digne d'éloges.
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À première vue, lorsqu'on regarde la solution, ce problème présente une suite désordonnée de switchbacks. En y regardant de plus près, on se rend compte que ce problème est en fait l'illustration de quatre types de switchbacks différents. Ces quatre types sont la capture d'une pièce (D), le dégagement de ligne (F, C), la fuite d'un échec (R) et finalement, le plus difficile de tous à réaliser, la perte de temps (T). On pourrait éventuellement distinguer en plus l'interception d'un échec et la libération d'une case, ce qui laisse une marge de progrès ! On pourrait également souhaiter que la dame effectue son switchback à partir de sa case de départ. Malgré ces considération et l'aspect désordonné de la solution, ce problème se mérite un prix pour sa combinaison inédite. J'invite cependant l'auteur à peaufiner le problème afin de le rendre plus attrayant.
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Depuis le fabuleux problème de Unto Heinonen en 32,0 coups, Probleemblad 1999, 1° prix, (tcfdrfct/5p2/4pD2/T1p5/1DTF4/1D3Pt1/P1PP3P/tCF1R1C1) présentant 10 switchbacks, dont huit noirs, ce problème s'inscrit dans la continuité des travaux sur les switchbacks en partie justificative. Parmi les huit switchbacks noirs, six servent à parer un échec au roi lors de la promotion du pion blanc. Le problème est excellent mais ne peut se mériter un prix en raison de son prédécesseur.
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L'auteur a réussi à trouver le plus court prologue possible (15 demi-coups) permettant de démarrer la suite d'oscillations de la tour noire, qui en effectue donc neuf et demi, et ce sans que ni l'un ni l'autre camp n'effectue de capture. Un problème élégant et sobre, résolu en un clin d'oeil, qui vient enrichir les précédents travaux de l'auteur sur le même thème.
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Trois promotions Ceriani-Frolkin en fou sur g8 et surtout un joli tempo à la toute fin (17.pg8=f+ Rg6 18.fc4! Pe6 19.fd5 Pxd5) qui donne à ce problème tout son charme. Un problème irréprochable qui satisfait à tous les canons de la beauté.
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Cette fois, deux promotions Ceriani-Frolkin en tour sur e8, avant que la te1 ne se rende sur la même case pour s'y faire capturer. Tout comme le premier recommandé, un problème classique d'une grande beauté.
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Un problème très impressionnant et également très difficile à résoudre. On peut reprocher à la correction de présenter le thème d'une façon différente de l'original. Ce dernier était très élégant avec ses deux cavaliers de promotion en d1 et e1 pour remplacer les cavaliers b8 et g8 capturés par les blancs. De plus, le sort des deux cavaliers Ceriani-Frolkin n'est pas facile à trouver, ce qui transforme le problème en un véritable puzzle. Par contre, dans la correction, ce sont trois cavaliers Ceriani-Frolkin qui faudra identifier... mais le seul trajet possible de la tour c5 nous y aide.
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Ce qu'on apprécie particulièrement dans ce problème figuratif, c'est la position finale, très élégante, ainsi que la solution, d'une précision mathématique, dont l'ordre des coups est finement justifié. Au final, une impression artistique forte, malgré la facilité de résolution.
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Deux switchbacks du Ff8, motivés pour libérer la case f8, mais on retient surtout les dégagements de ligne induits par le déplacement du fou, ce qui garantit l'unicité de la solution.
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Un amuse-gueule surprenant. Dans les deux variantes, tous les coups blancs sont identiques mais les noirs remplacent leur fou de promotion par un cavalier. Dans les deux cas, la pièce de promotion effectue deux switchbacks (un justifié par capture et un dégagement de ligne pour permettre le roque adverse) à partir de sa case de promotion avant d'y être capturé. Une belle trouvaille.
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Ce problème présente une permutation des pièces blanches sur la première rangée, sans capture. Je l'ai préféré à R92 du même auteur en raison en partie en raison de sa plus grande simplicité mais aussi pour l'interception, sur la diagonale b8-h2, entre les deux fous de case noire, qui justifie l'ordre des coups.
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Le même thème que le 2° recommandé, réalisé cette fois avec des cavaliers, ce qui est certainement plus difficile. Cependant, contrairement au problème cité, le cavalier qui se rend sur la case de promotion n'y est pas capturé. La solution est claire, nette et presque trop facile.
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Difficile de comparer ce problème à toutes les parties justificatives de ce tournoi. L'élément central est bien évidemment le droit de roque des noirs. Dans la variante (a), il n'est pas du tout évident que le Fa7 puisse provenir de f8 sans que les noirs n'aient déplacé leur roi pour laisser passer le ch5 via f6/g7. Ce problème est particulièrement réussi en raison de la structure de la position, aérée.
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Quelques commentaires sur les autres problèmes : R75 (B. Kampmann, M. Kerhuel, T. Le Gleuher) – Le seul problème que je n'ai pas résolu, de tels carnages étant particulièrement difficiles à résoudre. Les auteurs semblent avoir voulu présenter deux longues suites d'échecs, une par les blancs et une deuxième par les noirs. Cependant, ce problème est rapidement démoli par Euclide (en rétrogradant le dernier coup) : 1.ç3 ç6 2.Db3 Da5 3.D×f7+ Rd8 4.Rd1 Rç7 5.D×f8 Rd6 6.D×ç8 Rd5 7.D×b8 Ré4 8.D×g8 Tf8 9.Rç2 Tf3 10.Rb3 D×a2+ 11.Rb4 T×ç3 12.f4 Tf3 13.D×g7 Dg8 14.Ra5 b6+ 15.Ra6 T×f1 16.Rb7 T×ç1 17.Rç7 Da8 18.Dh6 Db7+. R76 (A. Cuppini) – Trop facile à résoudre. La pièce de promotion rend la position peu élégante. De plus, le discrimant est trop important. Finalement, le problème comporte un dual dans la partie (b). R77 (A. Cuppini) – Ce problème aurait plus d'effet dans la section Études, l'analyse rétrograde requise pour la résolution étant quasi nulle. R81 (B. Graefrath) – Pourquoi ne pas illustrer le même thème à l'aide d'une partie justificative ? R83 (A. Cuppini) – Démoli. En effet, en plus de rf5-g6, on peut tout simplement reprendre rxg6. R86 (T. Le Gleuher) – Une belle réalisation, avec l'ordre des coups bien justifié, qui complète le cycle des autres problèmes figuratifs sur le même thème. R87 (A. Cuppini) – Les deux variantes ne sont qu'une conséquence de la symétrie de la position et n'interviennent pas dans l'analyse rétrograde, qui est un peu trop simple; il manque tout simplement une pièce noire pour que le dernier coup blanc soit une capture. R100 (N. Dupont) – Ce problème figuratif m'a laissé froid en raison de l'effort déployé dans les derniers coups afin de compléter le thème, qui me semble trop important. L'auteur précise que les pions blancs avancent dans l'ordre, ce qu'on ne remarque pas nécessairement lors de la résolution. Je préfère une version plus simple (13,5 coups), sans la contrainte supplémentaire sur l'ordre des coups blancs :
R101 (É.Pichouron, N. Dupont) – Ce problème est anticipé (pour peu qu'on puisse parler d'anticipation dans une partie justificative) par un problème en 16,0 coups d'Unto Heinonen, Die Schwalbe 1997, 3° mention d'honneur. (2r4t/pppcpp1p/5D2/3p4/PPPPPPPP/d1t2fT1/1f1c4/FC2RFCT) R104 (M. Caillaud) – Malgré l'énoncé h≠2 : Ajouter une pièce, ce problème ne comprend pas d'élément d'analyse rétrograde. Par contre, la recherche de la solution fut intéressante. R109 (É. Pichouron) – Illustration minimale d'un circuit d'une pièce de promotion capturée. Cependant, le circuit étant justifié par deux captures, la mécanique du problème présente peu d'intérêt. R111 (É. Pichouron) – Contrairement à R109, du même auteur, le circuit ne comporte aucune capture; il s'agit simplement pour la cavalier noir de laisser les blancs roquer avant de revenir sur sa case de promotion pour y être capturé. Ce court problème est intéressant mais il existe de nombreux autres exemples de réalisation. R113v (É. Pichouron) – Malgré la correction, nettement meilleure que l'original, le contenu thématique du problème reste flou. De plus, les pièces de promotion présentes sur le jeu sont repérées immédiatement par le solutionniste en raison de la structure de la position. R120 (S. Hashimoto) – Un problème agréable avec un ordre des coups bien justifié. L'idée d'insérer la tour derrière les pions noirs n'est cependant pas assez originale pour mériter au problème une distinction. R122 (R. Ubaidullaev) – Un problème remarquable pour sa concision mais sans plus. À noter que Michel Caillaud a réalisé le thème en 10,0 coups, Retro Mailing List, en 2003 (1c1dr1c1/8/1F6/pppppppp/3P4/1D6/PPP1PPPP/TC2RFCT), vraisemblablement après la publication de ce problème et de R79. |
Merci à Étienne pour son jugement qui deviendra définitif le 01-09-2005.
Réclamations à Christian Poisson.